Chers collègues, ALLEZ ENSEIGNER ! [FR]

Que ce soit par de l’enseignement direct dans des formations spécialisées ou des partenariats divers, les liens entre les écoles des métiers du jeu vidéo et les studios se renforcent constamment. Beaucoup d’entreprises forgent ce lien afin de recruter du sang frais, des “nouveaux talents”, ces écoles étant d’excellents viviers de juniors. Pourtant, vous avez sans doute entendu, ou constaté par vous-même, que les candidatures des étudiants à la recherche d’emploi n’étaient pas toujours très bonnes, voire même parfois médiocres : des connaissances théoriques légères, des compétences techniques loin des standards et des portfolios souvent brouillons, ne reflétant pas les envies de carrière du candidat. 

Dans le même temps, on entend beaucoup d’anciens élèves de ces écoles critiquer les enseignements qu’ils ont reçu ainsi que des individus plus expérimentés pointant du doigts leurs lacunes. C’est ici qu’il y a, selon moi, un problème : les professionnels qui vont recruter à la sortie de ces écoles spécialisées se plaignent parfois du niveau des étudiants… En parallèle, certaines de ces écoles ont du mal à recruter des professionnels du milieu pour venir donner des cours.

Nous avons une responsabilité énorme en tant que travailleur de l’industrie du jeu vidéo de participer à la formation de nos futures recrues, nous ne pouvons pas simplement attendre que quelqu’un d’autre s’en charge – comme pour le changement climatique. Si aucun professionnel de l’industrie ne se décide à aller transmettre ses connaissances, le niveau des juniors ne s’améliorera jamais. Certains ont déjà fait le choix d’aller enseigner dans des écoles tandis que d’autres participent à leur manière en créant du contenu de formation disponible en ligne. Toutefois, c’est encore insuffisant pour trois raisons : 

  • Les écoles ont toujours besoin de nouveaux intervenants pour apporter de nouveaux regards et de nouvelles connaissances à leurs étudiants ; 
  • Les écoles ont besoin d’aide pour créer et maintenir à jour leur parcours pédagogique pour qu’il corresponde aux attentes de l’industrie ;
  • On ne peut pas uniquement espérer que les étudiants de ces écoles se débrouillent eux-mêmes pour tout découvrir, nous devons leur donner goût à nos métiers!

        Il y a deux ans, j’ai commencé à contacter des écoles en proposant une liste de cours et d’ateliers que je pourrais animer. Sur les cinq écoles que j’avais contacté, cinq m’avaient répondu de manière positive en disant qu’ils étaient heureux d’enfin trouver quelqu’un qui acceptait de venir donner des cours de level design : j’étais à la fois heureux de recevoir ces retours sur le contenu que je proposais et triste quand j’imaginais les étudiants en section “game design” dont la formation ne contenait apparemment pas ou peu de cours dédiés au LD…

Certaines grosses entreprises de notre industrie ont commencé à participer aux programmes éducatifs des écoles car elles en ont les moyens et parce qu’elles ont sans doute compris la chose suivante : si une entreprise participe à la formation des étudiants, elle s’assure d’enseigner sa méthodologie de travail et de former sur des outils similaires aux siens ou sur lesquels elle recherche des experts. En suivant l’évolution de ces étudiants, elle pourra ensuite recruter des juniors nécessitant moins de formation une fois dans le studio et prêt à rejoindre ses équipes et ses productions. Plus la base de connaissances est haute, plus la jeune recrue pourra progresser rapidement. 

Evidemment, envoyer un membre de son équipe de production pendant un ou plusieurs jours pour faire de la formation est un coût et il se pourrait que cet investissement ne soit utile que pour le recrutement d’un ou deux individus seulement. J’ai déjà entendu : “Imagine que l’on investisse dans du temps d’éducation dans les écoles pour ne recruter personne à la fin ! C’est de la perte pure !” J’aimerais leur retourner la question inverse :  qu’arrivera-t-il s’ils ne participent pas à la formation et qu’ils recrutent quand même ? C’est plus ou moins ce qu’il se passe en ce moment et le nombre d’étudiants augmentent tandis que la qualité des profils change peu.

Votre entreprise n’envoie personne former des gens dans des écoles ? Cela n’est pas un problème car la plupart des intervenants aujourd’hui sont des individus ayant pris les devants en leur nom pour aller partager leur savoir à la nouvelle génération de créateurs de jeu. Ainsi, ils donnent cours en tant que freelance ou sous des petits CDD pour des rémunérations horaires pouvant aller de 25€ à 80€ en fonction du statut légal et de la nature du contrat. Autant vous dire que je n’étais pas payé autant pour faire mon travail de designer en entreprise. 

Si l’argent est votre seule source de motivation, j’aurais tout de même tendance à vous conseiller d’essayer l’expérience en vous disant ceci : le sentiment d’accomplissement à la fin d’une journée de cours où vous pouvez lire sur le visage de vos étudiants la joie d’avoir appris ce que vous leur avez enseigné est tout autant satisfaisant que de voir des gens jouer à vos jeux et peut être largement plus satisfaisant que ce que vous vivez en entreprise. 

Vous partagez peut-être déjà vos méthodes et vos connaissances dans des conférences et à des événements malheureusement, beaucoup d’étudiants n’ont pas les moyens d’y assister. Effectuer une présentation devant une salle remplie de professionnels n’est pas la même expérience et le même partage que d’être aux côtés d’une vingtaine de jeunes où les liens sont évidemment beaucoup plus faciles à créer : les élèves ont généralement moins peur de poser des questions ; il est beaucoup plus agréable d’y faire des ateliers pratiques ;  vous pouvez vous asseoir à côté de chaque individus pour donner vos feedback et continuer votre enseignement de cette manière. 

Voici quelques apprentissages et conseils si vous souhaitez donner des cours. Premièrement, contacter des écoles proches de vous ou dans des endroits où vous êtes prêt à voyager en attachant évidemment votre CV à jour pour dérouler votre expérience professionnelle. Un ami m’a donné l’idée d’envoyer également un document présentant succinctement les cours que vous pourriez animer et qui pourraient intéresser l’école. Par voici, voici un extrait du document que j’envoi:

En partageant ce genre de document, vous assurez au directeur pédagogique de l’école que vous comprenez les objectifs éducatifs de sa formation, lui facilitant le travail pour vous intégrer dans son programme. C’est également un bon outils pour vous aider à structure le contenu des cours que vous pourriez créer !
Mes cours sont regroupés en modules comprenant une partie théorique et un exercice pratique accompagné d’un petit projet dans un moteur de jeu afin que les étudiants puissent comprendre les grands principes du sujet et ensuite approfondir en créant du contenu et en recevant du feedback sur leur travail. Bien évidemment, je place des pièges un peu partout dans ces exercices pour donner des leçons, j’ajoute de nouvelles contraintes, etc. Le meilleur dans tout ça, c’est qu’ils adorent la formule !

Quand vous êtes dans la salle de cours, vous entrez dans votre personnage de professeur ou de conférencier et, afin d’intéresser et d’accrocher les étudiants, votre meilleur outils est votre confiance en vous. Lorsque j’étais étudiant, mes camarades et moi avons eu plusieurs intervenants vraiment ennuyeux. Non pas qu’ils étaient mauvais, mais ils n’exprimaient aucune passion pour ce qu’ils nous racontaient.
Je suis convaincu qu’un bon professeur/intervenant est quelqu’un qui transpire la passion de son sujet, qui raconte des anecdotes et des petites blagues, qui ne parle pas avec un ton monotone, qui s’exprime avec assurance, qui bouge, fais des gestes, etc. Personnellement, j’ai toujours eu une forte attirance vers le théâtre et la comédie et mes cours théoriques deviennent mes petits stand-up show. Vous n’avez peut-être pas besoin de faire cela mais soyez actif, interagissez avec les étudiants, posez leur des questions régulièrement. Organisez des exercices pratiques leur permet de comprendre beaucoup mieux les notions vu en phase théorique. De plus, c’est une bonne opportunité de montrer l’exemple sur la manière de donner des feedback constructifs. Personnellement, je leur propose toujours des solutions et des nouvelles idées pour éviter de les laisser dans le flou après mes commentaires.

Il y a beaucoup d’espace pour créer des cours intéressants sur le développement de jeu vidéo. C’est élèves sont toujours heureux de voir une bonne présentation structurée accompagnée d’un joli powerpoint, des exemples, des petites analyses et sont d’autant plus ravis de pouvoir mettre en pratique tout cela. Vous avez des dizaines de façons de créer du contenu de qualité pour leur transmettre vos connaissances !

Certes, cela représente du temps de travail supplémentaire pour créer le contenu de son cours et peut-être des déplacements pour aller à l’école (ces frais sont généralement remboursés par les écoles) et je sais que tout le monde n’a pas la patience et la pédagogie pour endosser ce rôle. Malgré tout, ceux qui sentent en eux l’envie de se lancer ne doivent surtout pas hésiter ! L’expérience peut être extrêmement enrichissante, autant pour vos étudiants que pour vous-même : la préparation de cours est un exercice assez fou de synthétisation de ses idées et d’introspection pour réussir à organiser sa pensée afin qu’elle soit compréhensible par tous. 

Si plus de gens font cet effort, les étudiants seront forcément meilleurs à l’avenir, réaliseront de meilleurs projets et deviendront de meilleurs éléments à intégrer à nos équipes. L’éducation est la clef de voûte de notre Société et de nos sociétés. Des étudiants mieux formés c’est :
= de meilleurs candidats
= des juniors plus rapides à intégrer à la production et moins de temps de formation
= plus de temps pour développer son jeu
= des idées fraîches
= potentiellement un meilleur jeu

C’est pourquoi j’envoie un appel à toutes les personnes de l’industrie, physiques et morales : penchez-vous sérieusement sur la question de l’éducation et de la transmission de vos connaissances plus largement qu’auprès de vos nouveaux stagiaires. Amis développeurs, soyons acteurs de l’éducation de nos juniors !